La vie amoureuse en Apano Meria

Posted: 19 Οκτωβρίου, 2019 in français

La vie amoureuse en Apano Meria

par Teos Romvos

 

En moi, tempête, brume et chagrin. De mes doigts, les mots déferlent en rangées, des discours jaillissent mêlés de passion et de rage, des phrases gonflent imprégnées de la destruction des paysages, des menaces sont lancées de partout, des procès, des cris et des clameurs pour le respect de la planète qui nous héberge, des luttes pour que puisse continuer à exister ce groupe d’îles égéennes, sans être anéanti par ces myriades d’ennemis qui les assiègent sans trêve depuis des siècles.

Allons, mes amis, je vous invite à une longue promenade sur l’Egée. De la mer agitée avec ses vagues de mousse, jusqu’aux tréfonds où reposent les épaves anciennes, les poissons d’âges incertains, les perles et le corail noir.

Emergez et voyez les poissons volants fuir, voyez comme ils voltigent en rasant les dénivellations et les ondulations de l’eau, voyez comme naviguent à nos côtés les cétacés et les tortues marines, lentes comme de petites îles, voyez comme les cormorans s’oublient dans leurs plongeons. Venez et pénétrez dans des grottes marines inexplorées et tendez l’oreille aux halètements érotiques et aux respirations des phoques. Contemplez les jeux que font les saupes quand elles s’échouent sur la rive pour se fertiliser en tombant sur le côté, et tandis qu’elles tressautent, on voit leurs écailles se dorer et scintiller dans les chauds rayons du soleil. Après la fertilisation, les mâles s’ouvriront dans la mer pour y mourir et leurs cadavres, descendant en tourbillonnant vers le fond, toucheront les anémones de mer où ils deviendront nourriture pour les pieuvres mâles et les seiches, qui mourront à leur tour pendant que l’orgasme s’apaise.

Venez, mes amis, sortons sur la côte Nord de Syros, à Diapori, sur la petite plage de Skrofas, à Glysoura ou à Psycha, pour escalader prudemment les rochers acérés, alors que s’éloigneront les crabes pris aux dépourvu, les étoiles de mer, les escargots et les poux d’eau, et que ce petit martin-pêcheur papillonnera terrifié loin du nid, comme un petit arc-en-ciel au-dessus de l’écume des vagues. Sur les épaves sauvages de la lave, sur le calcaire et les roches volcaniques de la plage où s’apaisent les éclaboussures des vagues et du ressac, des barnacles hermaphrodites étroitement collés s’accouplent avec leurs deux tentacules érotiques qui ondulent comme des serpents, l’extrémité mâle se glisse dans la coquille et y laisse le sperme pour féconder les oeufs, en même temps que l’extrémité femelle reçoit l’extrêmité mâle dans la double ivresse de l’amour.

Venez plus près, mes amis, goûter la sauvage nature insulaire, contempler la Partie Nord, le dernier paysage de Syros, tel qu’Homère le rêvait en ses temps antiques, lui qui n’avait pas de toit et se promenait dans ces îles-ci de l’archipel. Venez marcher dans les dunes pour en découvrir la beauté, un paysage pastoral de terrasses et de murs de pierre, de routes minimales et de sentiers, avec des petits hameaux à Hartiana, Finikia, Mitaka, Papouri, Rihoto, Halandriani, Ligero et là-bas à San Mihali, et, à Kiperousa et Kabo, quelques fermes qui se fondent dans le paysage.

Orgas, la terre cultivée, grince, se contracte et se dilate sous les creusements et les ensemencements qui continuent à la torturer de la même façon depuis des millénaires. Ici ne vivent que quelques personnes qui depuis des siècles cohabitent harmonieusement avec la nature, en cultivant leurs terres arides. Des humains, des animaux et des plantes, des oiseaux et des insectes, comme dans une unité indivisible. Ici est née la civilisation égéenne.

Vous verrez les chicorées tendres qui frissonnent près des brises marines et, autour de la chapelle de Saint Jean le Baptiste, les fleurs vénéneuses du colchique. Vous goûterez à l’odeur huileuse des sauges et vous vous griserez des essences éthérées du thym fleuri qui fond sous le soleil, de l’odeur des plantes, de la garrigue, de la myrrhe, des jonquilles, de l’inule, de la bugrane, du crocus endémique que Tournefort a découvert dans ses recherches botaniques. Enfin, vous entendrez leur réseau de racines qui se propage partout, chuchotements avides et profonds parmi les plantes hermaphrodites qui se reproduisent sous la terre. Lentisques pistachiers, gattiliers, myrtes, bruyères, oliviers sauvages et caroubiers.

Dans l’après-midi qui s’assombrit volent des aigles royaux, des faucons pèlerins et des corbeaux en chasse au-dessus du Kastri préhistorique. Dans le ravin de Agios Thanasi, on entend le doux gazouillis du Guêpier de Leschenault qui appelle son compagnon.

Quand le soleil printanier commence à réchauffer le sol, les vipères émergent de leur sommeil hivernal. Elles s’extirpent de la terre et des roches, rampent, ondulent pour célébrer leur éveil avec des orgies sur les rochers chauds, se nouent sur les garrigues et les calicotomes, s’enlacent, les mâles glissent les pénis bifides dans la fente des femelles, et, agrippés les uns aux autres, ils se meuvent comme la chevelure de Méduse dans une frénésie érotique qui dure la journée entière.

Les hérissons, dissimulés dans les vignobles, étourdis par la douceur de l’odeur des raisins, enivrés de raisins blancs, noirs, ou pourpre comme le tanin du sang, font une bacchanale de tous les jus divins, grimpent la femelle qui attend étendue sur le sol et qui a replié contre son corps toutes ses épines.

Ecoutez attentivement le bourdonnement venu de milliers d’abeilles stériles qui suivent la route du nectar en transférant le pollen de plante à plante, et du vol solitaire de quelques frelons qui cherchent à s’accoupler avec la reine qui papillonne de ses grandes ailes loin de la ruche, laissant dans son sillage une odeur aphrodisiaque. Ceux qui la suivent, affolés, s’entre-tuent jusqu’à ce que l’un d’eux parvienne à la chevaucher et à la pénétrer. Aussitôt son pénis double, éjacule et il se paralyse. Ses organes génitaux se coupent et se détachent à l’intérieur de la reine, et la mort du mâle se produit immédiatement. Son premier rapport sexuel est le dernier, la passion érotique de la reine s’arrête là.

Le lézard femelle tourne en rond, s’arrête, lève sa queue et exhibe sa désirable fente génitale. Le lézard mâle la saisit par le cou, soulève une de ses pattes arrière, la passe par-dessus sa crête, et trotte sur elle. Les tortues mâles chevauchent les femelles et poussent hardiment vers le sol pour les pénétrer.

Entendez l’araignée mâle qui frappe les feuilles sèches pour attirer la femelle. Les araignées femelles qui se cachent dans les fleurs et les branches d’arbre répondent extatiques à l’appel. Le mâle tisse un petit hamac de soie le long duquel il monte et descend, s’y suspend, se balance, et chatouille la femelle, et quand enfin il réussit à l’approcher, il place sa mandibule gauche dans l’ouverture gauche de son système génital à elle, et son mandibule droit dans son ouverture droite, la femelle perçoit les vibrations érotiques et le mâle secoue ses antennes qui pénètrent et émettent le sperme directement dans l’orifice génital. Ils s’accouplent sur la toile que la femelle utilise pour capturer et manger ses proies. Le mâle mourra immédiatement après la rencontre sexuelle.

A la source de l’eau, à Marmara, une libellule mâle bourdonne et s’accouple en l’air avec la femelle, après l’avoir pliée et mordue par-derrière jusqu’à ce qu’ils tiennent ensemble, et pendant qu’ils volent en cercles la femelle s’enroule avec art autour de lui.

De Mavri Rahi et jusque sur le mont Siriggas, tout en pentes abruptes, en falaises escarpées et en petites gorges, jusqu’en bas à Aeto, dans les hauteurs du Ledinou et derrière les Halara, à Ayia Louka et sur les tombes préhistoriques, on entend croassements, clameurs, mugissements, caquètements, pépiements, grognements et ronronnements.

Des criquets mâles grimpent le dos de leurs compagnes. Des papillons sautillants volent légèrement de fleur en fleur alors que le mâle les approche pour s’accoupler. Pendant l’accouplement prolongé, ses organes génitaux se détachent et restent à l’intérieur du papillon femelle, qui continue à voler avec légèreté en plein été, de fleur en fleur, et à sucer leur nectar tandis que lui expire en tressautant sur le sol. Sous les pierres, des petits vers filiformes se livrent à leurs orgies, enlacés dans des enchevêtrements érotiques. Sur l’écorce des cèdres, des cigales mâles sucent des jus et frottent leurs élytres pour inviter les femelles. Des fourmis suivent les empreintes de leurs routes. Partout alentour se propagent des sons amoureux, sifflements, vrombissements, appels des insectes. La mante religieuse mâle, entraînée par son instinct sexuel, chevauche la femelle, et tandis qu’ils font l’amour, la femelle, d’un geste adroit de ses pattes avant, lui coupe la tête et l’engloutit, pendant que le reste du corps du mâle continue l’élégie érotique.

Au crépuscule, les oiseaux migrateurs descendent en nuées des sentiers célestes, et, après s’être reposés quelques brèves heures et avoir copulé, s’élèvent à nouveau dans les airs avec pour guide le bihoreau gris, puis se perdent comme des circonflexes mouvants dans le commencement du jour égéen.

Le jour commence à se lever et les oiseaux brillent haut dans le ciel laiteux.

Oui, mes amis. Les créatures de l’Apano Meria vivent comme tous les êtres vivants de notre planète. Les nuées d’oiseaux, les bancs de poissons, les mammifères, les troupeaux d’animaux, les insectes, volent, nagent, galopent et sont guidés par la même force mystérieuse qui les appelle seuls, en couples ou en groupes, à se reproduire et à mourir. L’orgasme est le secret ultime de la stimulation sexuelle et de la satisfaction.

Traduit du grec par Ivan Thomi

dessin: Evi Tsaknia

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